vendredi 2 avril 2010

Elyse et le système de santé guatémaltèque

Le muffin aux antibiotiques de Guillaume

Plusieurs d'entre vous ont entendu parler des mes aventures (mésaventures) médicales au Guatemala: amibes, bactéries, rota virus... J'ai dû visiter l'hôpital au moins une fois par mois depuis mon arrivée (souvent plus). C'est sans doute plus que dans toute ma vie... Enchaînant les divers traitements antibiotiques, ou tueurs d'amibes... Malgré le fait qu'en général j’ai une certaine méfiance face aux médicaments et que je déteste profondément en prendre sans savoir de quoi il s’agit. Sauf que, quand on est loin de chez soi, parfois on change nos habitudes.


En fait, le fait d’être parfois malade ne me stressait pas trop. Ce n'est pas ça le problème, parce que à ça, je m'y attendais. Notre système digestif conçu pour ces contrées où tout est aseptisé, ne connait visiblement pas les bactéries et autres micro organismes qui se trouvent ici. En plus, je ne me suis pas trop privé pour manger dans la rue et dans les marchés. Quand il est 6h du matin, qu'on a déjà deux heures d'autobus dans le corps, et qu'il en reste neuf autres, un atol d'avoine (boisson chaude sucrée) avec un petit pain, ça fait du bien! Même si on n’est pas supposé...

Ce qui commençait à m’inquiéter, c’était plutôt que depuis le mois de janvier je sentais que les mêmes amibes ne s’en allaient pas. Une folie paranoïaque s’était donc emparée de moi. Je ne mangeais plus que la nourriture que je cuisinais, je lavais mes fruits et légumes trois fois (avec de l’eau chlorée et de l’eau purifiée), je ne mangeais plus dans la rue… Jusqu’au point de ne rien manger lors des longs trajets d’autobus. Les biscuits sodas sont devenus mes meilleurs amis… Mais quand, hier, j’ai appris que le dernier traitement (très très fort) que j’avais pris pendant une semaine n’avait pas suffit à faire partir ces sales bestioles, j’ai un peu paniqué…

Quelques minutes plus tard, je me dirigeais vers un nouvel hôpital, un hôpital encore plus « privé ». Naturellement, c’est dans un pays où une partie considérable de la population n’a pas accès à des soins de santé de qualité qu’on retrouve ce genre d’hôpital. Tout est neuf, tout est beau, des dizaines d’infirmières disponibles, pratiquement aucun patient… J’ai attendu en tout sept minutes. C’est alors que le médecin résident m’explique que probablement je suis résistante aux médicaments et qu’ils ne pourront pas faire partir les amibes. D’un ton totalement nonchalant il me dit : « En fait, ce que vous avez, ici, tout le monde l’a… On est habitué, alors ça ne fait rien. » Je ne sais pas s’il a bien vu les points d’interrogation qui sont apparu dans mes yeux. Quoi? C’est mieux de rien faire… de laisser le corps agir de lui-même? J’aime tellement mieux considérer la santé de cette façon, et ainsi éviter de prendre toute sorte de médicament sans savoir de quoi il s’agit. Mais en fait, c’est ça qui fait peur.

Malheureusement, ma compréhension de la biologie humaine est un peu limitée. Donc, pas le choix de faire confiance aux spécialistes. Sauf que, quand ces mêmes spécialistes me donnent des explications complètement opposées en l’espace d’une semaine, c’est un peu déroutant. Alors s’il y a un médecin dans la salle qui a un avis sur la question, allez-y de vos suggestions, la boîte est ouverte! Pour l’instant, ma nouvelle stratégie sera d’apprivoiser ces « amies ».

Tout cela sur les bestioles du système digestif… Peut-être un peu ennuyant. En même temps, la santé est un sujet de conversation tellement présent entre moi et mes collègues ici, c’était donc inévitable que je vous en fasse part aussi.

mercredi 31 mars 2010

Allez lire ça!

Huehuetecos declaran su territorio libre de minería

El proceso de las consultas comunitarias constituye una de las formas de resistencia de los pueblos indígenas en cuanto a la defensa del territorio. El 28 de enero pasado, ACOGUATE acompañó a representantes de ocho municipios de Huehuetenango y la Asamblea Departamental por la Defensa de los Recursos Naturales de Huehuetenango quienes llegaron a la capital para entregar la “Declaración de los pueblos del Norte de Huehuetenango libres de Minería y de Megaproyectos” al Congreso, al Ministerio de Energía y Minas (MEM) y a la Procuraduría de Derechos Humanos (PDH). El departamento de Huehuetenango constituye la principal reserva de minerales metálicos del país y al mismo tiempo, es donde la mayor oposición comunitaria se ha manifestado contra la actividad minera (1) .

http://acoguate.blogspot.com/2010/03/huehuetecos-declaran-su-territorio.html

lundi 15 février 2010

Des nouvelles personnelles

Le temps des départs

Beaucoup, beaucoup de temps a passé depuis les dernières nouvelles sur le blogue... D'abord, le départ de Guillaume. Et oui, ce qui devait arriver arriva, Guillaume a terminé son contrat et est allé poursuivre sa route sur le vieux continent. Ce départ était naturellement très important pour moi... Nous avions initié le projet ensemble. En plus, la présence d'un ami qui vient du même endroit que soi était très rassurante et réconfortante à certains moments. Une période d’adaptation a donc été nécessaire pour m’habituer à ce changement...


Ici, le changement est plus une norme qu'un bouleversement. Parce qu'en plus du travail qui atteint à certains moments des niveaux d'instabilité et d'imprévisibilité record, les relations interpersonnelles subissent le même sort. Des départs, des arrivées à chaque mois. Il faut donc constamment se recréer un équilibre autour de soi. Début janvier, Tito, mon partenaire de travail depuis le début s'en retournait vers ses contrées parisiennes. Février, Mika, Judith et Katarina qui étaient ici pratiquement depuis mon arrivée s'en allaient eux aussi... En même temps, des nouveaux nouveaux, des nouvelles amitiés... ça devient un peu épuisant à la longue....

Noël au Mexique

Le thème est presque passé date. La fin du contrat de Guillaume coïncidant avec mes vacances, et l'arrivée d'amis du Québec au Mexique, une petite virée intitulée «le Québec au Mexique» s'est donc organisée. Premier arrêt à San Cristobal de las Casas au Chiapas, pour Noël. Noël au Sud c'est bizarre. En même temps, ça faisait du bien de ne pas être dans la course folle « fin de session- magasinage- surdose de publicité- et foule hystérique dans tous les commerces ». Et le plus important, nous avons réussi à recréer un vrai réveillon avec plein de gens pour la soirée du 24. Sept Québécois, deux Français et des Suédois qui font un travail semblable au nôtre au Chiapas, de la bonne nourriture, du vin chaud et voilà!



Ensuite, nous avons poursuivi notre route a cinq vers le Yucatan. Une sieste et un dodo à Campeche, le temps de trouver la ville bien étrange et de visiter les ruines mayas de Edzná. Ensuite, arrêt a Mérida. Ce fut l'occasion d'être accueillis chaleureusement par Alex dans son appartement, de passer une belle journée avec Mariana et Mathieu (encore plus d'amis du Québec!), de découvrir un phénomène géologique des plus divertissants: les cenotes et de se préparer pour l'expédition du jour de l'an.


En tant que jeunes qui ne veulent pas faire les choses comme tout le monde, nous avions décidé de chercher une plage inconnue au Yucatan (!). Grâce aux conseils d'Alex et de ses amis, nous avons appris l'existence d'une plage dont la route d'accès avait été détruite par un ouragan quelques années auparavant. Ce qui en fait aujourd'hui, une plage pratiquement déserte. Durant la journée du 29, nous nous sommes donc affairés à la préparation de ladite expédition: nourriture, eau, hamacs, chasse moustiques, etc. Par expédition, je veux vraiment dire expédition... Comme dans: la plage est à 5h00 de marche de la route et est seulement habitée par des milliards de moustiques. Par chance, sur le chemin pour se rendre nous avons rencontré un pick-up qui nous a gentiment rapproché de notre but. Malgré l’abondance de moustiques et le sable dans la nourriture, nous avons passé un super jour de l’an sous la pleine lune!

Après les adieux déchirants, je suis rentrée à la maison à Guatemala.



La saga du billet d'avion

Pratiquement depuis mon arrivée ici, il y avait une grande incertitude face à la date de mon retour à Montréal et à la fin de ma participation au projet. Finalement quelques réponses... J’ai modifié ma date de retour pour le 1er août. Oui oui, en même temps que ma fête! Je voulais prolonger ma participation avec ACOGUATE. Finalement, il fut possible de modifier mon contrat jusqu’a la mi-mars. J’étais un peu déçue, mais il semble que la vie fasse bien les choses. Et oui, si la rumeur se confirme, je devrais travailler comme stagiaire dans une organisation ici pour environ quatre mois. Je ne donne pas plus de détails pour l’instant, mais ça ne devrait tarder...

Changement d'équipe

Depuis la mi-janvier, j’ai changé d’équipe de travail. En effet, j’ai terminé mon travail dans la région, et intégré l’équipe mobile de la capitale. Les sorties d’accompagnement sont maintenant plus courtes en général, et peuvent être un peu n’ importe où dans le pays. Il y a certains cas que nous accompagnons depuis plusieurs années, mais l’équipe répond aussi à des demandes plus ponctuelles.

La fin approche

Il me reste maintenant moins d’un mois en tant qu’accompagnatrice. Ça fait très bizarre... Je commence tranquillement à mettre de l’ordre dans toute l’information que j’ai accumulée au cours des derniers mois. Le temps des bilans n’est pas encore arrivé, mais ne devrait pas tarder non plus...

mardi 9 février 2010

Entrevue avec Javier de León et Fernando Solis

Voici des extraits d’une entrevue réalisée par des membres d’ACOGUATE en novembre dernier. Miguel Fernando Solis est coordonateur exécutif et éditeur de l‘association El Observador ainsi que chercheur dans les domaines politiques, économiques et sociaux à l‘Université de San Carlos de Guatemala (USAC). Javier de León est un leader communautaire Maya Mam et militant des droits des peuples autochtones ainsi que coordinateur de l‘Association pour le développement intégral de San Miguel Ixtahuacán (ADISMI ).

ACOGUATE : Quel est le rôle de l’exploitation minière au Guatemala dans le contexte post conflit armé?

FS- La fin formelle de la guerre a favorisé l’imposition d’un État et quand je parle d’État, je ne parle pas des institutions en tant que telles, mais plutôt d’un type de relations de pouvoir. Les institutions vont générer les conditions pour que le Guatemala crée des relations et soit accepté dans ce qu’on appelle le concert des nations démocratiques. Le pays était considéré comme non démocratique parce qu’il était dirigé par des gouvernements militaires. Formellement, nous vivons maintenant dans un système démocratique et nous sommes en paix. Ce n'est toutefois pas la réalité. Les mêmes conditions qui ont donné naissance au conflit continuent d'exister au pays. Les militaires sont encore ici et la justice n'a jamais fonctionné pour questionner les responsables et ceux qui ont financé la guerre.

Cet État qui s’est construit depuis les accords de paix est un État qui fait la promotion de l’intégration du pays au système capitaliste mondial, un capitalisme toujours plus globalisé. Finalement, les accords de paix ont produit les conditions pour que, légalement ou dans un contexte de démocratie formelle libérale capitaliste, les entreprises puissent entrer au pays et générer une série d’articulations afin d’exploiter les ressources naturelles. Contrairement a l’époque coloniale, ce processus ne se fait plus seulement selon une logique d’expansion territoriale, sinon qu’il y a un autre élément fondamental : la soumission idéologique. Il s’agit d’une nouvelle forme de violence. Les entreprises minières y participent aussi. Il semble que 80% de tout l’or du monde est utilisé à des fins non productives. On l’utilise pour faire des bijoux, pour le luxe. C’est donc contradictoire que, par exemple, il affecte négativement la vie des communautés. S’il servait autrefois de fondement au système monétaire international, aujourd’hui, il ne sert plus qu’à l’opulence et au cosmétique.

ACOGUATE : De quelle façon peut-on dire que deux visions du « développement » s’opposent quant à l’exploitation minière au Guatemala ?

JDL- En comparant le modèle de développement capitaliste avec celui qui nous est propre, aux premières nations, nous constatons qu’ils sont totalement contradictoires. Pour les peuples autochtones, le sous-sol ou la terre a un nom. Par exemple, en Mam, nous disons Knan Chojch. Knan signifie « notre mère » et Chojch signifie « terre », donc « notre terre mère ». Cet élément culturel entre en contradiction directe avec l’arrivée d’une transnationale. Pour elle, il n’existe pas de « terre mère », la terre est la terre et il faut exploiter ses ressources. Les connotations culturelles sont ainsi rompues, et de là est générée la conflictualité.

FS- Pour l’industrie extractive, le développement vient des recettes et du profit obtenu. Selon cette conception, la terre, l’eau, la forêt, la montagne et le volcan sont des marchandises. On peut donc les extraire et les vendre. Pour les peuples autochtones, le développement consiste en la reproduction de la vie dans des conditions optimales. Le problème n’est donc pas que l’entreprise minière doive payer plus pour ce qu’elle extrait, mais simplement qu’elle extraie1. Même si elle payait 100% sur ce qu’elle extrait, ce sont des ressources non renouvelables et fondamentalement son activité influence non seulement l’environnement mais aussi le mode de vie des populations.

ACOGUATE- Quels sont les mécanismes de résistance employés par les communautés et sur quels instruments juridiques s’appuient leurs revendications ?

JDL- Au Guatemala, particulièrement dans le cas de San Marcos, dans les communautés Mam et Sipakapense, les pratiques de résistance et d’organisation reposent sur les autorités communautaires. Ce sont ces autorités qui ont joué le rôle de communication, d’éducation, d’orientation et d’organisation pour réaliser les consensus communautaires, afin de savoir si la communauté est en accord ou non avec l’exploitation des ressources naturelles. Ce sont ce qu’on appelle les consultations communautaires ; c’est le nom juridique et technique de cette pratique démocratique qui existe depuis des centaines d’années dans les communautés. Ce droit est inclus dans différents instruments juridiques nationaux et internationaux2. Même si l’État ou la Cour constitutionnelle ne reconnaissent pas que ces consultations engagent l’État3, les communautés l’exercent parce que c’est une pratique légitime et légale. Il existe un rapport de la Commission nationale de transparence qui dit que malgré le fait que ces consultations aient été réalisées de nombreuses années après l'enclenchement des projets d'exploitation, le droit à la consultation ne cesse d’être un droit légitime parce qu’il est établi légalement4.

ACOGUATE- Quelles sont les difficultés qui ont été rencontrées par les organisations et les représentants des communautés dans leur lutte contre l’exploitation minière ?

FS- Le premier problème serait la négation par l’État des instruments que ce même système donne aux communautés pour défendre leurs droits. La question est de savoir quoi faire lorsque c’est l’État même qui nie les instruments légaux. La Convention 169 est un instrument reconnu par l’État5 et le principe fondamental qui y est consigné est que les communautés ont droit à la consultation préalable et informée. Ceci ne s’est produit en aucun cas. Il n’y a réellement jamais eu de consultation préalable. Le deuxième problème est la criminalisation de la lutte ou l’utilisation par l’État des forces de sécurité pour faire face à la protestation sociale. Certains des mécanismes qui étaient utilisés durant la guerre refont surface : le harcèlement violent, les exécutions extrajudiciaires, la disparition, l’attaque directe, etc. Il n’est pas possible d’utiliser les tribunaux parce qu’ici, tout l’appareil de justice fonctionne sous la base de la subordination et des intérêts privés. Celui qui paie commande. Celui qui a l’argent pour payer un fonctionnaire de justice est assuré de sortir indemne du processus.

ACOGUATE- Quelles sont les faiblesses du mouvement social dans la défense des ressources naturelles et quels sont les défis auxquels font face les communautés ?

JDL- Premièrement, je pourrais mentionner la division politique qui existe au sein du leadership. Par exemple, l’existence des Églises évangéliques et catholiques nuit à l’union des communautés. D’autre part, la pauvreté et l’extrême pauvreté entrent aussi en ligne de compte. Les gens n’ont pas beaucoup de temps pour penser à ce qu’ils vont faire dans le mouvement pour la défense du territoire quand ils sont occupés à penser à ce qu’ils vont manger pour déjeuner. Puis, il y a aussi la question politique, des partis politiques, qui, loin d’articuler une force pour faire face aux problèmes collectifs, fragmentent l’unité communautaire. La lutte de leadership est un grave problème ici. Cela explique que nous n’ayons pas réussi à gagner un gouvernement, nous qui sommes la majorité, le peuple maya du Guatemala.

FS- Il faut garder en tête que derrière l’exploitation minière se trouve tout un pouvoir constitué, historiquement très fort, celui des entreprises, des transnationales et des groupes de pouvoir. Pour faire face à ce pouvoir, il faut en construire un. Or, la constitution de celui-ci ne passe pas par les partis politiques ou le gouvernement. C’est avec le pouvoir que l’on fait face au pouvoir. Cela implique de construire des projets politiques, et je ne fais pas référence à des projets partisans. La bourgeoisie nationale possède un projet politique et économique très bien défini: le profit. Les communautés sont claires, elles ne veulent pas de ces projets. Elles veulent une autre forme de développement, une forme qui ne leur aurait pas été imposée. Il faut donc construire un pouvoir qui soit capable d’exprimer aux transnationales que nous ne voulons pas de ça.

1 Selon la Loi minière du Guatemala, en vigueur depuis janvier 1998, les entreprises doivent payer 1 % des profits reliés à l’exploitation minière (0.5% à l’État et 0.5% à la municipalité). [Artículo 63, Ley de minería y su reglamento, Ministerio de energía y mina, Dirección general de minería, Guatemala, Decreto 48-97].

2 Voir l’article 66 de la Constitution politique de la République (http://www.oas.org/Juridico/MLA/sp/gtm/sp_gtm-int-text-const.pdf), les articles 63, 65 et 66 du Code municipal (http://www.congreso.gob.gt/archivos/decretos/2002/gtdcx12-2002.pdf) et les articles 6, 7, 8 et 15 de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) (http://www.ilo.org/ilolex/cgi-lex/singlef.pl?query=011989169@ref&chspec=01).

3 Décision de la Cour constitutionnelle du Guatemala du 8 mai 2007 dans laquelle elle qualifie de légale et légitime la Consultation de Sipakapa de 2005, mais qu’elle n’engage pas l’État.

4 Informe de Investigación y Verificación del Proceso de Autorización de las Licencias de Explotación en Los Municipios de San Juan Sacatepequez, Departamento de Guatemala y San Miguel Ixtahuacán, Departamento de San Marcos, Comisión Extraordinaria Nacional por la Transparencia, 23 de octubre de 2009. (http://www.congreso.gob.gt/uploadimg/documentos/n9132.pdf)

5 La Convention a été ratifiée par le Guatemala le 5 juin 1996.


Note: Entrevue publiée dans la revue d'actualité du PAQG. www.paqg.org
Pour la version originale de l'entrevue en espagnole, voir le blog d'ACOGUATE. www.acoguate.blogspot.com

mardi 15 décembre 2009

Logros y fracasos

Ça y est. Je vois la fin de mon contrat approcher à grands pas, en regardant mes deux ou trois entrées sur ce blogue et en me désolant de ne pas avoir écrit plus. Il faut croire qu'il y avait trop à faire, trop à voir. Peut-être un peu de paresse aussi. Toutefois, les deux dernières semaines ont été marquées par une série d'évènements dont je ne pourrais me permettre de ne pas faire mention. De bons exemples, l'un pour l'avancée considérable qu'il représente, l'autre pour démontrer qu'il reste beaucoup de chemin à faire par rapport aux droits humains au Guatemala.

Tout d'abord, les bonnes nouvelles. Le cas El Jute, dont j'ai fait mention plusieurs fois par le passé, a finalement abouti. En résumé, trois commissaires militaires et un colonel faisaient face à des accusations de séquestration et de délit contre les devoirs d'humanité, en relation à la disparition de huit membres de la communauté de El Jute, faits perpétrés en octobre de l'année 1981. Dans le cas du colonel, le fait qu'un officier supérieur soit jugé pour ce type de crime commis durant le conflit armé interne, le plus meurtrier en Amérique latine, constitue une première. Au cours des 13 audiences qui ont constituées le processus, pas moins de 39 personnes ont défilés devant les juges: trois témoins experts sommés par l'accusation, un pour la défense, 21 témoins occulaires pour la partie accusatoire et 14 pour la défense. J'ai eu le privilège d'assister à la majorité des audiences. D'interminables heures de débat, en effet, mais qui ont porté fruits.

Le 3 décembre dernier, après neuf heures de délibération, les trois juges du tribunal de sentence pénal du département de Chiquimula ont tranché en faveur du comité de victime de El Jute, principalement composé de membres des familles des disparus. La condamnation en soit représente une avancée considérable dans la lutte contre l'impunité au Guatemala. Mais il y a plus. En élaborant la sentence, la Cour a jugé opportun d'amplifier l'accusation afin que celle-ci reflète de manière adéquate la gravité des faits. C'est ainsi que l'accusation de séquestration fut changée en disparition forcée. Ajoutée au crime envers les devoirs d'humanité, la sentence reçue par les accusés totalise ainsi 53 ans et quatre mois de prison. Un autre point digne de mention est le fait que les juges ont su tenir compte du fait qu'il existe plus que quatre coupables pour ces disparitions, ainsi que pour les autres crimes commis lors des différentes interventions de l'armée dans la communauté. En d'autres mots, toute la chaîne de commandement militaire de l'époque est maintenant sujette à poursuite pour avoir mis au point de telles stratégies de terreur envers la population civile, du chef d'état-major des armées jusqu'au ministre de la défense de l'époque.

L'ambiance qui régnait dans la salle d'audience lors de la tombée du verdict est extrêmement difficile à décrire. Premièrement, venant de la foule bigarée constituée de membres des familles des victimes ou des accusés, de représentants d'organismes oeuvrant pour les droits humains au Guatemala, d'anciens militaires, de diplomates étrangers, aucune réaction spontanée de joie, de tristesse ou de colère. Il est évident que les trois heures prises par le juge en chef afin d'expliquer les détails de la décision ont probablement contribuées à engourdir les esprits de la majorité. Toutefois, même lorsque tout fut dit, ce n'est que très graduellement que la nouvelle a fait son chemin dans les esprits. Probablement que personne ne s'attendait à une telle sentence, moi le premier. Après d'innombrables poignées de mains échangées un peu au hasard, un sourire en coin, ma collègue et moi rentrâmes à notre hotel sous escorte, ne réalisant vraiment ce qui venait de se passer que le lendemain matin.

Pour ceux que ça intéresse, la défense doit en ce moment déterminer si elle en appelera de la sentence (ou non).

Voir http://www.prensalibre.com/pl/2009/diciembre/04/360515.html

Et maintenant pour le feo...

Le 10 décembre dernier, le Parque Central de la capitale fut le théâtre de la violente explusion, à grands coups d'antiémeutes, de gaz lacrimogène et de poivre de cayenne dans la figure, d'un groupe de sindicalistes qui exercait son droit de manifestation. Pour faire une histoire courte, depuis maintenant 15 mois ces derniers y avaient érigé leur ''camp de base'', constitué de quelques tentes entourées de bannières. À l'origine, ceux-ci travaillait pour l'entreprise Agua Pura Salvavidas, membre de la Corporación Castillo Hermanos. Après plusieurs tentatives de faire reconnaître leur syndicat par le Ministère du travail, ce qui fut finalement chose faite, l'entreprise déclara en faillite l'usine dont il était question. Postérieurement, plusieurs des travailleurs de l'endroit furent relocalisés, sauf ceux étant toujours affiliés au syndicat. C'est donc suite à ce renvoi que les membres du syndicat commencèrent à réclamer leur relocalisation, lutte qui les mena éventuellement à occuper un espace dans le Parque Nacional, en face du Palacio Nacional de la Cultura. Depuis lors, le cas ne connut pratiquement aucune avancée, le gouvernement guatémaltèque se montrant insensible à un groupe de syndicaliste demandant l'application du Code du travail face à une entreprise dirigée par ce qui est l'un des hommes les plus puissants du pays.

Bien évidemment, les autorités avaient leurs raisons de réclamer cette expulsion. En effet, trois jours plus tard devait avoir lieu la semi-finale de l'émission de télé-réalité La Academia, diffusée par la chaîne TV Azteca. De manière très à propos, la localisation de la scène principale était planifiée au même emplacement que le campement de fortune. Ce fut donc une excellente excuse que cette excellente soirée, ou des milliers d'adolescents purent idolâtrer à leur aise les prochaines superstars de la pop latino sans avoir à subir les affres d'une vulgaire lutte pour les droits des travailleurs au Guatemala. Plusieurs concerts d'envergure nationale ont récemment pu avoir lieu au même emplacement sans pour autant avoir à y chasser les sindicalistes, tels que le concert pour célébrer le jour de la Révolution, ou encore celui visant à éliminer la violence envers les femmes. Il faut croire que dans ce cas, les intérêts d'une chaîne mexicaine ont su primer.

Voir http://acoguate.blogspot.com/2009/12/sindicalistas-de-sitrapeten-desalojados.html

Guillaume

samedi 28 novembre 2009

Quelques actualités de la région de Huehuetenango.

La 6e Semaine de diversité biologique et culturelle

C'est à Yalambojoch, situé dans la municipalité de Nenton, département de Huehuetenango, tout près de la frontière mexicaine, que s'est tenue la 6e Semaine de diversité biologique et culturelle du 15 au 19 novembre dernier. Au cœur des montagnes Cuchumatanes et de la région culturelle Chuj, cette communauté fut l'une des plus affectées par le conflit armé interne dans les années 1980. Le film La Hija del puma qui relate ces événements y prend justement lieu. Il s’agit d'une petite communauté qui regroupe environ 300 familles qui vivent essentiellement d'agriculture, d'artisanat et de commerce local a petite échelle. À cette époque de l'année, le climat y est assez froid; pas seulement assez froid pour un pays du «sud», mais réellement froid selon mes propres références. Merci à mon sac de couchage conçu pour le climat québécois!

Le choix de ce lieu n'était pas innocent. En effet, un des lieux clés de la région est la «Laguna Yolnabaj», mieux connue sous le nom de la Laguna Brava, est actuellement menacé par des investisseurs étrangers qui veulent en faire un complexe touristique. Il est actuellement question de privatiser cette lagune de 4km2 très riche en biodiversité. Pour l'instant, il s'agit toujours d'un territoire géré par les gens de la région dans le cadre d’un projet de tourisme communautaire. De plus, le lieu est grandement menacé par un projet d’autoroute controversé, la Franja Transversal del Norte, qui devrait éventuellement passer par là.

Le processus de la Semaine pour la diversité culturelle et biologique avait été initié en 2001 à San Cristobal de las Casas, au Mexique et avait rassemblé 400 personnes. La thématique principale de cette première semaine avait été les impacts de l'implantation du Plan Puebla Panama. Les Semaines suivantes se sont successivement déroulée à Quezaltenango au Guatemala, au Honduras, au Salvador et à Colotenango au Guatemala. Il s'agit donc d'un processus de rencontre entre les différents peuples d'Amérique centrale, organisations de base, leaders communautaires et organisations de défense du territoire afin d'établir des stratégies et des alternatives face aux menaces posées par les mégaprojets et les impacts du modèle néolibéral.

Cette année, l'événement a rassemblé environ 600 personnes de la région. C'est donc dire que presque tous les membres de la communauté étaient impliqués, soit en hébergeant des participants, en cuisinant ou en aidant au niveau logistique. Personnellement, c'est probablement cette caractéristique qui m'a le plus impressionné pendant la semaine. Vraiment, c'était un bel exemple de solidarité et d'échange. Au départ, j'ai eu un peu peur que tant de personnes qui envahissent une si petite communauté en même temps causeraient probablement plus de dommages qu'autre chose. Finalement, je pense que le comité organisateur avait assez bien prévu la chose, au niveau de la gestion des déchets et du site en général. Sinon, c'est peut-être moi qui n’a rien vu...

Le premier jour, les représentants des différentes délégations (Mexique, Salvador, Honduras, Costa Rica et Guatemala) ont présenté la situation dans leur pays ou communautés respectifs; la situation au niveau environnemental, des mégaprojets, de l'exploitation des ressources naturelles ou des conflits de territoire. Les deux jours suivants, les participants étaient divisés en cinq tables de travail (Territoire et mégaprojets, souveraineté alimentaire, modèle néolibéral, santé des peuples, jeunesse et territoire et femmes, territoire et droits) pour travailler sur des thématiques spécifiques. Pour ma part, j'étais inscrite à la table de travail sur les mégaprojets, et dans la sous table sur l'exploitation minière. C'est un sujet qui m'intéresse beaucoup et qui est particulièrement important dans la région où je travaille. Ce fut l'occasion pour les différents participants d'échanger sur leurs expériences, de partager de l'information et d'élaborer des stratégies à l'échelle de l'Amérique centrale. Il est vrai que le besoin d'une coordination entre les différentes organisations au niveau régional, mais aussi local est très grand. Difficile d'évaluer les retombées concrètes dans l'immédiat, mais a mon avis, l'exercice en valut la peine. De toute façon, mon intérêt pour ce genre de processus est déjà bien connu par la plupart d'entre vous...

Une sortie dans certains lieux d'intérêt de la région avait aussi été organisée le mercredi matin. Des petits ennuis de santé (rien de grave!) m'ont malheureusement forcé à rester un peu plus longtemps dans mon sac de couchage. Mais Tito, mon partenaire de travail a, lui, pu aller visiter la Laguna Brava. La semaine s'est terminée par un marché d'échange de semences et de produits artisanaux et par la lecture de la Déclaration de Yalambojoch, élaborée par les différents groupes de travail.

Dans le cadre de notre travail ici, notre participation à cet événement nous sortait un peu de notre quotidien d'accompagnateurs. Mais très positif dans l'ensemble. Aussi, ce fut une rencontre un peu troublante pour Tito et moi avec la femme qui nous accueillait dans sa maison, et qui cuisinait pour nous. Tous les deux, nous avons ressenti quelque chose d'assez fort en la rencontrant. Difficile à expliquer... un regard tellement triste qu'on ne pourra oublier de sitôt...

http://www.visemanadiversidadbiologica.ceibaguate.org

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La Déclaration des peuples de la région Nord de Huehuetenango libres d'exploitation minière et de mégaprojets.


Le 24 novembre dernier a été célébrée cette déclaration dans la municipalité de San Sebastián Coatán. L'événement avait été organisé par les autorités municipales, communautaires, les organisations locales des peuples mayas Qanjobal, Chuj et Akateko, l'Assemblée départementale de Huehuetango pour la défense des ressources naturelles ainsi que le Conseil des peuples de l'Occident. Cette déclaration souligne la réalisation de consultations populaires dans les huit municipalités de la région Nord de Huehuetenango. Dans ces huit municipalités, la population s'est opposée à l'exploitation minière et aux mégaprojets. C'est la seconde région du département qui célèbre une telle déclaration. En effet, en septembre 2008, cinq autres municipalités avaient fait de même. Il faudra observer les développements au cours de la prochaine année, et voir si l’ensemble du département pourra se déclarer libre d'exploitation minière.

Le processus des consultations populaires revêt une importance particulière ici. En effet, il représente le droit des peuples autochtones à être consulté de manière libre et informée avant que des projets d'exploitation soient mis en place sur leur territoire. Ici, ce droit est reconnu par la Consultation politique et le Code municipal. Au niveau international, le droit à la consultation est reconnu par la Convention no 169 de l'Organisation internationale du travail (OIT). Malgré cette reconnaissance, il est souvent difficile pour les peuples autochtones de voir ce droit respecté de manière entière. D'autant plus qu'aucun de ces instruments juridiques ne reconnaît l'obligation de l'État de respecter les décisions prises dans de telles consultations.

Elyse

dimanche 22 novembre 2009

La Ley de Reconciliación Nacional, instrument de paix ou d’impunité?

Voici un article que j'ai rédigé pour la publication du Projet Accompagnement Québec-Guatemala. N'hésitez pas à laisser vos commentaires! Désolé pour l'absence de photo, mais sans caméra (volée il y a quelques semaines) c'est plus compliqué...

Par Guillaume Charbonneau

Signés au mois de décembre 1996, les Accords de paix du Guatemala devaient marquer la fin d’une triste période, caractérisée par l’un des conflits armés les plus meurtriers à s’être déroulé en Amérique latine. Avec la signature de la paix vint l’espérance que justice soit faite pour les quelques 200 000 morts et disparus, dont une majorité de civils. C’est aussi dans la foulée de ces Accords de paix que fut approuvée par le Congrès guatémaltèque la Ley de Reconciliación Nacional (Loi de réconciliation nationale), aussi connue comme le Décret 145/1996[1], et qui est loin d’être la seule en son genre en Amérique latine. L’emploi du champ lexical de la paix qui la caractérise occulte cependant un outil d’amnistie fortement utile aux responsables des nombreux crimes et atrocités commis durant le conflit armé interne. Aujourd’hui encore, alors que l’impunité demeure un problème hautement préoccupant au Guatemala, on emploie de manière récurrente la Loi de réconciliation nationale afin de se soustraire au poids du passé.

Les paragraphes d’introduction du décret 145/1996 l’établissent clairement: parce que la paix relève de l’intérêt national, le renforcement des institutions et de la stabilité sociale, de même que l’unité et le développement du pays requièrent certaines mesures spéciales dans un contexte de fin de conflit armé interne. Au cours de ce conflit ont été commis des gestes qui, selon la loi, sont considérés comme des délits politiques ou délits communs connexes. Alléguant que la réconciliation doit tenir compte les circonstances entourant les gestes posés par chaque individu, la Loi de réconciliation nationale enlève toute responsabilité pénale pour les délits politiques perpétrés entre 1962 et 1996. Cela concerne les délits commis par des forces s’opposant à l’État, notamment les guérillas, de même ceux perpétrés par les autorités étatiques ou les membres de ses institutions afin de prévenir un délit politique. Toutefois, la loi ne s’applique pas aux délits de génocide, de torture, et de disparition forcée, conformément au droit interne et aux traités internationaux ratifiés par le Guatemala.

Un peu partout en Amérique latine, on retrouve des variantes de ce genre de mesures amnistiantes mises en place suite à une étape trouble de l’histoire du pays. Tout d’abord un voisin du Guatemala, le Salvador : La guerre civile opposant le Frente Farabundo Martí de Liberación Nacional (FMLN) et les forces armées salvadoriennes entre 1980 et 1991 causa près de 70 000 morts et disparus. Les conclusions du rapport de la Commission de la vérité qui suivit les accords de paix étant considérées injustes par l'armée salvadorienne, elles furent catégoriquement rejetées par celle-ci. Face à ces pressions, le gouvernement adopta une loi d’amnistie extrêmement large, la Ley de Amnistía General para la Consolidación de la Paz (Loi d’amnistie générale pour la consolidation de la paix). Cette loi accorde une amnistie pleine, absolue et sans conditions à tous ceux ayant commis des crimes de nature politique, ou crimes communs reliés à des crimes politiques, avant le 1er janvier 1992[2].

De même, au Chili, le décret-loi No 2191 fut établi cinq ans après le coup d’État du Général Augusto Pinochet[3]. Celui-ci empêche que soient jugés les individus qui auraient perpétré des actes criminels durant la période comprise entre le 11 septembre 1973 et le 10 mars 1978, période au cours de laquelle était officiellement décrété l’état d’urgence. Même si cette loi contribua aussi à la libération d’une centaine de prisonniers politiques, Amnistie Internationale et la Commission internationale de juristes considèrent qu’en réalité, elle ne représente qu’une manœuvre de la part du gouvernement militaire visant à protéger ses membres face à d’éventuelles poursuites judiciaires. De ce fait, la grande majorité des violations systématiques et généralisées des droits humains perpétrées durant cette période restent impunies. Il serait aisé d’établir un parallèle avec la Loi de réconciliation nationale qui, malgré son apparente équité, couvre une période durant laquelle l’État guatémaltèque (armée, groupes paramilitaires et autres forces de sécurité) aurait perpétré 93% des violations des droits humains[4].

Au cœur du pays, nombreux sont les exemples de cas où la Loi de réconciliation nationale a un impact déterminant sur les sentences des accusés, particulièrement en ce qui a trait au crime de disparition forcée. Le cas de Choatalúm, village du département de Chimaltenango, concerne six disparitions forcées qui eurent lieu entre 1982 et 1984. Felipe Cusanero Coj, en sa qualité d’auxiliaire militaire de l'époque, en fut accusé. À prime abord, un verdict de culpabilité semble relever de la simple logique, le crime de disparition forcée figurant au nombre des délits n'étant pas couverts par ladite loi. Malgré tout, la défense de Cusanero tenta de démontrer que la loi ne pouvait être appliquée rétroactivement, le délit ayant été créé en 1996. En bout de ligne, cet argument d'inconstitutionnalité fut rejeté par le juge et Cusanero, condamné. Ceci étant dit, la défense porta la décision en appel, demande qui est en ce moment étudiée par le système judiciaire guatémaltèque.

Un autre cas dont l’issue pourrait être fortement influencé par la décision que rendra le juge sur le sort de Cusanero est celui d'El Jute. El Jute est une communauté où font présentement face à la justice trois anciens auxiliaires militaires ainsi qu'un ancien colonel impliqués dans la disparition forcée de sept personnes au début des années 1980. En 2007, la défense des accusés demanda au juge de première instance de mettre un frein aux procédures judiciaires intentées contre les anciens militaires, qui étaient alors en détention préventive depuis deux ans. Selon la défense, les crimes dont ils étaient accusés ne seraient pas des disparitions forcées, mais bien des séquestrations, libérant ainsi les accusés de toute charge en vertu de la Loi de réconciliation nationale. La Cour constitutionnelle, la plus haute instance juridique du pays, pencha en faveur des accusés en décembre 2008. Ceci étant dit, une alliance formée de diverses organisations de la société civile réussit à faire suffisamment pression pour que cette décision soit portée en appel. Un processus judiciaire exceptionnel fut enclenché de manière à ce que les accusés soient jugés par le Tribunal de sentence de la région, procès qui a encore cours au moment d'écrire ces lignes.

La grande visibilité du cas El Jute explique en partie cette heureuse exception. Toutefois, la Loi de réconciliation nationale continue de contribuer à ce que des centaines d’autres crimes commis durant le conflit armé interne restent impunis. La quasi-inexistence de condamnations pour les crimes de disparition forcée, torture ou génocide perpétrés entre 1962 et 1996 au Guatemala, et ce malgré le fait que la loi ne les amnistie pas, est un bon exemple du profond manque de volonté politique d’agir pour une véritable réconciliation nationale.

[1] Decreto numero 145-1996 - Ley de reconciliación nacional, 27 Diciembre 1996 [En ligne], http://www.acnur.org/biblioteca/pdf/0148.pdf (page consultée le 15 novembre 2009).

[2] Inter-American Commission on Human Rights, « Report on the Situation of Human Rights in El Salvador », OEA/Ser.L/V/II.85 Doc. 28 rev, (February 11, 1994).

[3] Amnistía internacional, « Piden anular la Ley de amnistía », El Clarín de Chile, Santiago de Chile, lunes 16 de octubre de 2006.

[4] Selon la Comisión para el Esclarecimiento Histórico, l’organisme ayant été chargé de faire la lumière sur le conflit interne au Guatemala (Impunity Watch, Reconociendo el pasado, desafíos para combatir la impunidad en Guatemala, Guatemala, Publicación de Impunity Watch, 2008, p. 12).