Tout d'abord, les bonnes nouvelles. Le cas El Jute, dont j'ai fait mention plusieurs fois par le passé, a finalement abouti. En résumé, trois commissaires militaires et un colonel faisaient face à des accusations de séquestration et de délit contre les devoirs d'humanité, en relation à la disparition de huit membres de la communauté de El Jute, faits perpétrés en octobre de l'année 1981. Dans le cas du colonel, le fait qu'un officier supérieur soit jugé pour ce type de crime commis durant le conflit armé interne, le plus meurtrier en Amérique latine, constitue une première. Au cours des 13 audiences qui ont constituées le processus, pas moins de 39 personnes ont défilés devant les juges: trois témoins experts sommés par l'accusation, un pour la défense, 21 témoins occulaires pour la partie accusatoire et 14 pour la défense. J'ai eu le privilège d'assister à la majorité des audiences. D'interminables heures de débat, en effet, mais qui ont porté fruits.
Le 3 décembre dernier, après neuf heures de délibération, les trois juges du tribunal de sentence pénal du département de Chiquimula ont tranché en faveur du comité de victime de El Jute, principalement composé de membres des familles des disparus. La condamnation en soit représente une avancée considérable dans la lutte contre l'impunité au Guatemala. Mais il y a plus. En élaborant la sentence, la Cour a jugé opportun d'amplifier l'accusation afin que celle-ci reflète de manière adéquate la gravité des faits. C'est ainsi que l'accusation de séquestration fut changée en disparition forcée. Ajoutée au crime envers les devoirs d'humanité, la sentence reçue par les accusés totalise ainsi 53 ans et quatre mois de prison. Un autre point digne de mention est le fait que les juges ont su tenir compte du fait qu'il existe plus que quatre coupables pour ces disparitions, ainsi que pour les autres crimes commis lors des différentes interventions de l'armée dans la communauté. En d'autres mots, toute la chaîne de commandement militaire de l'époque est maintenant sujette à poursuite pour avoir mis au point de telles stratégies de terreur envers la population civile, du chef d'état-major des armées jusqu'au ministre de la défense de l'époque.
L'ambiance qui régnait dans la salle d'audience lors de la tombée du verdict est extrêmement difficile à décrire. Premièrement, venant de la foule bigarée constituée de membres des familles des victimes ou des accusés, de représentants d'organismes oeuvrant pour les droits humains au Guatemala, d'anciens militaires, de diplomates étrangers, aucune réaction spontanée de joie, de tristesse ou de colère. Il est évident que les trois heures prises par le juge en chef afin d'expliquer les détails de la décision ont probablement contribuées à engourdir les esprits de la majorité. Toutefois, même lorsque tout fut dit, ce n'est que très graduellement que la nouvelle a fait son chemin dans les esprits. Probablement que personne ne s'attendait à une telle sentence, moi le premier. Après d'innombrables poignées de mains échangées un peu au hasard, un sourire en coin, ma collègue et moi rentrâmes à notre hotel sous escorte, ne réalisant vraiment ce qui venait de se passer que le lendemain matin.
Pour ceux que ça intéresse, la défense doit en ce moment déterminer si elle en appelera de la sentence (ou non).
Voir http://www.prensalibre.com/pl/2009/diciembre/04/360515.html
Et maintenant pour le feo...
Le 10 décembre dernier, le Parque Central de la capitale fut le théâtre de la violente explusion, à grands coups d'antiémeutes, de gaz lacrimogène et de poivre de cayenne dans la figure, d'un groupe de sindicalistes qui exercait son droit de manifestation. Pour faire une histoire courte, depuis maintenant 15 mois ces derniers y avaient érigé leur ''camp de base'', constitué de quelques tentes entourées de bannières. À l'origine, ceux-ci travaillait pour l'entreprise Agua Pura Salvavidas, membre de la Corporación Castillo Hermanos. Après plusieurs tentatives de faire reconnaître leur syndicat par le Ministère du travail, ce qui fut finalement chose faite, l'entreprise déclara en faillite l'usine dont il était question. Postérieurement, plusieurs des travailleurs de l'endroit furent relocalisés, sauf ceux étant toujours affiliés au syndicat. C'est donc suite à ce renvoi que les membres du syndicat commencèrent à réclamer leur relocalisation, lutte qui les mena éventuellement à occuper un espace dans le Parque Nacional, en face du Palacio Nacional de la Cultura. Depuis lors, le cas ne connut pratiquement aucune avancée, le gouvernement guatémaltèque se montrant insensible à un groupe de syndicaliste demandant l'application du Code du travail face à une entreprise dirigée par ce qui est l'un des hommes les plus puissants du pays.
Bien évidemment, les autorités avaient leurs raisons de réclamer cette expulsion. En effet, trois jours plus tard devait avoir lieu la semi-finale de l'émission de télé-réalité La Academia, diffusée par la chaîne TV Azteca. De manière très à propos, la localisation de la scène principale était planifiée au même emplacement que le campement de fortune. Ce fut donc une excellente excuse que cette excellente soirée, ou des milliers d'adolescents purent idolâtrer à leur aise les prochaines superstars de la pop latino sans avoir à subir les affres d'une vulgaire lutte pour les droits des travailleurs au Guatemala. Plusieurs concerts d'envergure nationale ont récemment pu avoir lieu au même emplacement sans pour autant avoir à y chasser les sindicalistes, tels que le concert pour célébrer le jour de la Révolution, ou encore celui visant à éliminer la violence envers les femmes. Il faut croire que dans ce cas, les intérêts d'une chaîne mexicaine ont su primer.
Voir http://acoguate.blogspot.com/2009/12/sindicalistas-de-sitrapeten-desalojados.html
Guillaume